La grande nav est une des exigences pour décrocher la licence de pilote privé. Il s'agit d'un vol d'au moins 150 milles nautiques (270 km) avec arrêt complet sur deux aéroports différents de ce celui de départ. Il constitue, avec le premier vol solo et la première navigation solo, une des étapes marquantes dans la vie de l'élève pilote. Et moi il m'a marqué!
Après avoir dû renoncer, il y a deux semaines, à cette grande nav, en raison de la mauvaise météo, hier toutes les conditions sont remplies pour que je fasse le grand saut. Itinéraire: Charleroi - Midden Zeeland (Pays-Bas) - Ostende - Charleroi.
La préparation est importante: étudier les terrains où l'on va se poser (leur orientation, comment y arriver, le circuit à suivre et son altitude, les activités éventuelles qui pourraient poser un danger telles que le largage de parachutistes, la présence planeurs ou d'oiseaux… comment se rendre à l'aire de stationnement après avoir atterri); étudier les espaces aériens que l'on va traverser (sont-ils contrôlés, à partir de quelle altitude, faut-il contacter le contrôle du trafic aérien pour y pénétrer…); étudier les repères au sol et les signaler sur la carte de navigation; rechercher les aides à la radionavigation que l'on va éventuellement utiliser pour se guider… bref pas mal de choses à faire en amont du vol.
Le jour du vol, il faut bien entendu étudier la météo sur tout l'itinéraire pour vérifier si l'on ne risque pas d'être confronté à des orages, à des nuages trop bas, à un vent de travers qui rendrait l'atterrissage à destination hasardeux. Il faut aussi calculer les performances de l'avion en fonction de l'altitude des aérodromes de départ et de destination, de l'humidité et de la chaleur du jour; s'assurer que le chargement ne dépasse pas les limites et qu'il est bien centré afin de ne pas compromettre la maniabilité de l'avion; et puis s'assurer qu'on dispose d'assez de carburant pour atteindre sa destination, en prévoyant une marge suffisante en cas de diversion, d'attente à l'atterrissage, etc. Et puis ne pas oublier d'enregistrer les plans de vols, puisque je vais traverser une frontière.
Après avoir fait un briefing avec mon instructeur Cédric, je fais le plein. Mise en route du moteur, autorisation de la tour et je décolle vers Nivelles. De là je me servirai de radiobalises au sol pour me guider jusqu'à Terneuzen (Pays-Bas). J'ai aussi des repères visuels au sol, mais je fais plus confiance à mes instruments. C'est une erreur. Les instruments ou la balise peuvent tomber en panne. Bien entendu je ne me sers pas d'un GPS, ce qui enlèverait tout intérêt à l'exercice. Je longe Bruxelles, j'aperçois l'Atomium notamment, mais suis un peu trop stressé en ce début de vol que pour apprécier pleinement le paysage. Je contacte le service d'information, qui peut m'alerter de trafics à ma proximité, il peut aussi m'aider, si je m'égare, comme je pourrai le constater au retour!
Le vol se passe bien, je gagne en confiance, en sérénité. Je sais que si je m'égare, il me suffit de prendre un cap 270° pour tomber sur le canal de l'Escaut qui va de Gand à Terneuzen. J'ai le canal en vue, je m'approche de ma première masse d'eau à survoler, pour atteindre l'île de Midden Zeeland. La traversée ne sera pas bien longue, quelques minutes à peine, mais bon… cela fait bizarre de survoler des navires. C'est superbe. Sur l'autre rive je devrais apercevoir assez vite l'aérodrome, mais comme il s'agit d'une piste en herbe, j'ai intérêt à être attentif et surtout à avoir pris un bon cap. Piste repérée, je peux faire le circuit. Un autre avion qui vient lui aussi de Charleroi arrive en même temps que moi. Je suis un peu tendu parce que je ne le vois pas. Je redouble donc de prudence. Il atterrira avant moi. Alors que je suis engagé en finale, un avion au sol s'engage sur la piste pour décoller. C'est tout à fait contraire aux règles. En plus dans l'axe de piste quelques arbres… Bon l'atterrissage va être intéressant. L'avion au décollage à libéré la piste, mais c'est stressant quand même. J'arrive un peu bas, un peu trop court. Je ne le sens pas, je remets les gaz et fais un go around. J'ai pris la bonne décision. Je refais un circuit et me pose cette fois sans le moindre problème. Mais j'avoue que ces arbres dans l'axe de piste sont pour le moins gênants.
L'aérodrome est sympa, la taxe d'atterrissage un peu moins: 24 euros… Je fais remplir le papier qui certifie que je me suis posé à Midden Zeeland et je décompresse un peu à la terrasse de l'aéroclub. Mais pas le temps de traîner: il faut préparer le vol suivant, se remettre en tête le point d'entrée, les fréquences radio. J'ai pris un peu de retard et je réactualise avec Bruxelles mes plans de vol.
Avant d'embarquer je fais mon external check. Je n'ai rien ressenti pendant le vol et je me suis bien posé, donc il ne devrait pas y avoir de problème. Toutefois, en vérifiant le niveau d'huile, je ne vois pas de trace sur la jauge. Bizarre. Pourtant au départ à Charleroi, j'avais bien vérifié et le niveau était OK. Face au doute, j'appelle Cédric. Il me rassure, l'avion vient de passer un entretien et on a refait le plein d'huile. L'huile étant nouvelle, elle est toute propre, de plus quand elle est chaude elles est plus liquide est moins visible. Sur ces paroles rassurantes, je reprends mon envol. Décollage impeccable avec un léger virage sur le cap 310° pour éviter le survol du camping.
Après quelques minutes, je contacte l'approche d'Ostende pour demander l'autorisation d'arriver en longeant la côte. Accordé. C'est une superbe ballade: Knokke, Zeebrugge, Blankenberghe, les plages à mes pieds et la mer à ma droite. Je savoure pleinement cet instant. Ostende étant un aéroport contrôlé avec du trafic commercial, je suis un peu tendu, craignant de faire des bêtises, de ne pas comprendre les instructions. Rien de tout cela. Le contrôle est super aimable et clair. Il est vrai que depuis peu, les élèves pilotes doivent s'annoncer en tant que tels et les contrôleurs sont sans doute plus compréhensifs. Approche et atterrissage impeccables! Angoisse pourtant de me perdre au sol, de ne pas emprunter le bon taxiway et de me retrouver là où je ne dois pas. Tout se passe pourtant à merveille: les instructions sont assez claires et quand j'ai un doute je demande. En fin de taxi j'ai même droit à la voiture Follow Me et au marshaller qui me guidera jusqu'à mon point de stationnement. On se prendrait presque pour un vrai commandant de bord… Je passe un contrôle de sécurité et une camionnette me conduit à la tour. Accueil super aimable au bureau de piste. Re-taxe d'atterrissage: 24,20 euros, mais là au moins on a la Follow Me et le marshaller. J'ai même eu droit à un bureau pour préparer mon retour vers Charleroi. Au retour vers mon avion l'agent m'emmène voir quelques avions russes stationnés sur le tarmac.
Le départ d'Ostende me chagrine: le départ de la zone exige de passer par un point de sortie précis, mais s'agissant d'un aéroport contrôlé, il ne m'est pas possible après le décollage de revenir survoler la piste pour repartir sur le bon cap depuis la piste elle-même, qui est le point de référence que j'ai pris pour le calcul de mes caps. Je m'embarque donc dans une navigation plus qu'approximative. J'essaie de me repérer, mais la fatigue aidant, je ne parviens pas à me situer avec exactitude. Bon, on fait quoi alors? Tout d'abord on continue à voler et on garde son calme. Etant stressé de nature, je suis heureux de constater que je gère ce stress plutôt bien et que je ne le laisse pas se transformer en panique. Et je crois que c'est une des choses les plus importantes que j'ai acquises durant ma formation: parvenir à comprendre les mécanismes du stress et les effets qu'il a sur moi. Il m'a fallu du temps, mais pourtant ce soir, alors que je me trouve seul aux commandes d'un avion, que je ne sais pas où je me trouve, que mes réservoirs d'essence ne me permettront plus de voler pendant des heures, je garde le contrôle. Une chose à faire: contacter Brussels Info. Alors que je m'approche d'une localité, je demande au contrôleur s'il peut me confirmer que je suis là où j'espère être. Pas de chance, je suis ailleurs ! Bon, le retour va être sympa… Très aimablement le contrôleur me demande si j'ai besoin d'assistance. Je lui indique donc que je veux rejoindre Charleroi via Nivelles. Il me donne alors le cap à suivre pour Nivelles. A Nivelles je contacte la tour de Charleroi pour annoncer mon retour. Le contrôleur me demande si j'ai besoin d'assistance. Se sont-ils passé le mot? Afin d'effectuer une approche relax et un bon atterrissage je lui demande me donner le cap pour rejoindre la piste. Les feux de piste sont allumés, j'adore. Home sweet home...
Cette grande nav m'a laissé des sentiments partagés. Si dans l'immédiat je l'ai interprétée comme un échec, je crois plutôt, après y avoir bien réfléchi, que cet exercice a été en fait très positif, instructif et utile. Voler n'est pas anodin et gérer des situations plus ou moins critiques non plus. Je peux être très satisfait de mes deux segments vers Midden Zeeland et Ostende. Mes communications avec le contrôle aérien et ma gestion des fréquences radio n'ont pas posé de problèmes; ma radionavigation m'a mené à destination; mes atterrissages ont été impeccables; lors des mes external checks j'ai constaté un éventuel problème d'huile et réagi comme il fallait.
Par contre ma navigation à vue n'est pas encore suffisamment au point. Je savais que mon départ d'Ostende était un point faible et j'aurais donc dû avoir une solution avant de prendre mon envol. Je suis satisfait de ne pas avoir eu d'orgueil déplacé qui m'aurait porté à retarder ma demande d'assistance au contrôle aérien, ce qui aurait pu me mettre dans une situation beaucoup plus délicate. Quand on sait qu'il arrive que des pilotes de ligne se trompent d'aéroport, je me dis que, bon, à ce stade de ma carrière c'est pardonnable de s'égarer. Ce qui l'est moins c'est de décoller en sachant que j'avais un doute sur la manière de rejoindre mon point de sortie au départ d'Ostende.
Autre enseignement: le professionnalisme de nos contrôleurs aériens, leur disponibilité et leur amabilité. A aucun moment je n'ai senti le moindre reproche de leur part, que du contraire, ils étaient là pour m'assister et ont répété à plusieurs reprises que je ne devais pas hésiter pas à les contacter.
Pour finir cet article, je dois dire que j'ai tiré un plaisir intense de cette grande nav, difficilement explicable, mais réel.